mercredi 3 juin 2009

Tentative ratée au Cardinal !

On appelle ça un but !
But météo, car tous les bulletins annonçaient du beau temps le matin, pour les 2 jours (vendredi 29 et samedi 30), et formation de cumulus dans l'après-midi, et en fait, le ciel s'est brusquement couvert dès le début du samedi matin !
Et aussi but sur les conditions de neige car nous avions 2 semaines de retard ! Si lors de ma rando de reconnaissance le couloir de la brèche Sud du Cardinal était visiblement bien enneigé, ce n'était plus le cas ce week-end: le ressaut du départ était très étroit et plutôt en mixte glace / rocher (donc pas franchement accueillant), la rimaye s'était ouverte, même si elle semblait encore contournable. Bref, tout ça n'était pas très engageant. Nous sommes venus, nous avons vu, ... et nous sommes repartis !
On pourrait même ajouter aussi but topographique: en effet une des photos du Topo de François Damilano comporte une erreur "de légende" et nous a incité à chercher le couloir de la brèche Sud du Cardinal DERRIERE celui-ci, alors qu'elle se trouve en avant. En fait on a confondu la Brèche Sud qui est cotée à 3500 m, avec la brèche 3600 ! Enfin, ça nous a permis de bien visiter le coin !

Mais, en ce splendide vendredi matin de la fin du mois de mai, dans le petit train rouge à crémaillère qui nous conduit au Montenvers, Seb et moi sommes optimistes et nous avons le coeur léger. Nous dévalons prudemment les échelles et prenons pied sur la Mer de Glace où, pendant 1h30 environ nous pratiquons quelques exercices de sauvetage en crevasse, en situation réelle: j'explique et je montre à Seb comment faire un ancrage solide à l'aide de 2 broches à glace, il installe la poulie-bloqueur, puis le mouflage complet qui permet de démultiplier la force de traction à l'aide d'une seconde poulie. J'enfile ma Gore-Tex et mes gants, et je vais m'installer au fond d'une "demi-crevasse" accessible à pied (en fait au pied d'une petite pente de glace): je m'attache au bout de la corde, m'allonge sur la glace, et je fais le mort ! A l'autre bout de la corde, Seb tire comme un forcené et me remonte lentement, ce qui me permet de bien vérifier tout l'inconfort de mon baudrier !
Puis on inverse les rôles et on fait même un 2ème exercice pour Seb, à un endroit plus malcommode ! La matinée s'avance et on se dit qu'on a quand même du chemin à faire jusqu'au refuge ! Nous attaquons donc les échelles qui donnent accès au sentier balcon de la Mer de Glace.
Le panorama est toujours aussi grandiose:

15h45: Seb arrive au refuge, sous un ciel bien bouché

Parfois un nuage se déchire, laissant entrevoir un instant un fragment de paysage.

Au refuge, nous rencontrons deux alpinistes qui rentrent d'une escalade non loin du couloir en Y de la Verte, et les mauvaises nouvelles tombent en série:
dans l'ordre chronologique:
1- il n'y a pas de poêle, à 2800 m on va se cailler sévère !!!
2- il n'y a pas de gaz non plus, on va devoir manger froid !
3- il y a la radio !!! Qui nous apprend le décès de la championne de snowboard et aspirant-guide, Karine Ruby et de ses deux clients, le matin même, après une chute dans une crevasse du bassin du Géant, entre la Tour Ronde et le refuge Torino.
Dans ces conditions, l'ambiance tourne vite au froid et à la morosité.
On fait le tour du refuge. J'entreprends de déneiger la fenêtre arrière, histoire d'avoir un peu plus de lumière à l'intérieur, et Seb repère un tas de planches, posées en vrac à côté du refuge.
Après une petite ballade décevante au-dessus du refuge, le ciel est toujours bouché et on ne voit rien, on ne sait toujours pas dans quel état se trouve le couloir qu'on envisage de remonter demain, et on se dit que vraiment, ce serait mieux de manger chaud, et on attaque les planches à grands coups de pieds. Un gros bloc devant le refuge, et 3 grosses pierres feront parfaitement l'affaire pour installer un barbecue de fortune.

18h20: ça y est, on se réchauffe enfin !

18h50: les pâtes de Seb sont presque prêtes !

19h40: l'heure du dessert: 1ère éclaircie !

Ambiance austère au-dessus du refuge

Les sommets de la rive droite du glacier de la Charpoua se découvrent à leur tour: Grand Dru, Col du Dru, Pic et Aiguille Sans Nom, Pointe Croux

Le soleil couchant ravive et réchauffe les couleurs fauves de la protogine chamoniarde.

Enfin, on entrevoit la base de "notre" couloir, sous le Cardinal, et là, on commence à se dire qu'il va falloir abandonner.

20h55: soleil couchant sur le Cardinal

Le lendemain, 5h30, au pied du couloir: l'aube se lève sur le Mt Blanc

5h50: il rosit

6h00: il est en plein jour

Nous sommes presque au pied du couloir qui conduit à la brèche 3600, sous les contreforts de la Sans Nom et de la Verte. Nous n'irons pas plus loin.

6h15: l'ombre recule doucement et le soleil éclaire maintenant les sommets de l'Envers du Plan, la Dent du Requin, le Gros Rognon, et la Pyramide du Tacul


7h00: le Cardinal s'ennuage alors que nous commençons à descendre.

Quelles penséespeuvent bien traverser l'esprit d'un Homme face à un tel spectacle ?

L'Homme-Seb se dit d'abord "faisons une photo !"


Puis il relève la tête, et il devient un petit shaman, son esprit croise celui de l'aigle ou du chamois, la montagne entre en lui, il aimerait rester là, ne pas redescendre.

Notez tout de même la mer de nuages, à gauche, versant italien, et qui est restée bien sagement dans ses "starting-blocks" depuis notre départ du refuge à 4h30.

7h15: nous sommes de retour au refuge.

8h15: le temps se gâte !
Mais ce ne sont pas les nuages italiens qui nous envahissent: ce sont des nuages français, arrivés de l'Ouest, par dessus les Aravis.


En arrivant à la moraine, nous apercevons les 2 alpinistes. Ils se sont levés 1h après nous.

Ils n'iront pas plus loin eux non plus: une averse de grésil les oblige à battre en retraite.

Le Seb craignant l'eau (il n'a pas de veste étanche et pas de capuche), il presse le pas, je le suis tant bien que mal, et à 11h45 nous sommes de retour au Montenvers.


11h45: plafond bas et pluie.

Pour nous, l'histoire s'est bien terminée, mais pour tous les candidats au Mt Blanc, ce fut beaucoup moins facile: d'après le récit de l'un de "ceux qui y étaient", 38 personnes ont pu trouver refuge à Vallot, qui n'est pas un refuge mais un "abri de secours" à 4360 m ! Et "un groupe de 6 portuguais a du bivouaquer à 4700 m" ! Partis du refuge des Grands Mulets à 2h du matin, ils ont du attendre une éclaircie qui n'est arrivée que vers 20h, pour pouvoir finir la descente jusqu'au refuge.
Le récit et les photos sont sur Skitour:
http://www.skitour.fr/sorties/mont-blanc,21808.html#sortie


Heureusement, pour moi, après l'effort, ce fut le réconfort !!

Et, la désormais traditionnelle photo depuis le balcon du studio des parents de Véro: aujourd'hui, "On nous a volé le Mt Blanc !"
Dimanche 31, à 18h15.

En conclusion, la Charpoua c'est trop beau, la Charpoua on y retournera !

Les photos de Seb sont là:
http://photos73.free.fr/Refuge%20de%20la%20Charpoua%20-%2029%20et%2030.05.2009/album/Refuge%20de%20la%20Charpoua%20-%2029%20et%2030.05.2009/index.html